On connaît l’origine du roman-feuilleton, c’est-à-dire de l’œuvre littéraire publiée par livraisons dans la presse quotidienne. La formule en a été inventée simultanément par Emile de Girardin et Dutacq, directeurs respectifs de deux journaux nés le même jour (1er juillet 1836) : La Presse et Le Siècle, qui allaient se livrer une concurrence acharnée. Des auteurs populaires comme Soulié, Sue, Féval, Ponson du Terrail publièrent leurs œuvres en feuilleton, mais Sand ou Flaubert firent de même. Balzac publia quelque vingt romans en fragments dans les quotidiens. Dumas découpa son Comte de Monte Cristo en cent-trente-neuf livraisons. Les séries prolongeront, en librairie, cette logique de la fidélisation. À la suite des Trois Mousquetaires viendront Le Vicomte de Bragelonne puis Vingt ans après. D’autres auteurs sauront intensifier la cadence. Souvestre et Allain donnent un bel exemple de fécondité, en signant quelque trente-deux Fantômas entre 1910 et 1914 !
Les romans-feuilletons ont longtemps eu mauvaise presse, les auteurs étant soupçonnés de tirer à la ligne et de flatter les goûts du public. Sainte-Beuve, notamment, s’en prit violemment à eux dans un article intitulé « De la littérature industrielle » (La Revue des deux mondes, 1er septembre 1839). La bande dessinée, qui souffrait déjà d’un certain nombre d’autres handicaps symboliques (Groensteen, 2006), ne gagna sans doute pas en légitimité culturelle en faisant pendant longtemps du feuilleton son mode de publication privilégié. Toutefois, cette collusion entre littérature dessinée et régime feuilletonesque ne se produisit qu’au XXe siècle, de façon progressive. Au XIXe, en dehors de quelques cas relativement isolés (l’Histoire de Mr Cryptogame, de Töpffer et Cham, en livraisons dans L’Illustration, quelques récits de voyage par Cham, dans le Charivari, l’Histoire de Mossieu Réac, de Nadar, dans La Revue nouvelle à l’usage des gens sérieux, les Mésaventures de Mr Bêton, de Léonce Petit, dans Le Hanneton, les Histoires campagnardes, du même, dans Le Journal amusant, le Voyage de Monsieur Blandureau autour du monde, anonyme, dans La Terre illustrée…), le support de référence était l’album. Il le redeviendra à partir des années 1980.