Bécassine, pionnière de la bande dessinée française
Née en 1905, Bécassine est vite devenue une figure majeure de la bande dessinée française. Derrière son apparence de bonne bretonne naïve, elle reflète les mutations de la France rurale vers la modernité. Portée par le trait élégant de Joseph Pinchon, cette héroïne emblématique mérite aujourd’hui un nouveau regard.
On sait que Bécassine est née de la nécessité de boucher en catastrophe un trou dans le sommaire du n°1 de La Semaine de Suzette, paru en 1905. Cette page écrite par Jacqueline Rivière, la rédactrice en chef du journal, est dessinée par le jeune Pinchon qui ne se doute alors pas que la jeune bonne bretonne va le suivre tout au long de sa vie professionnelle. Il ne cessera en effet de la faire vivre qu’en 1950, mettant en images les scénarios de Jacqueline Rivière, puis ceux de Maurice Languereau, alias Caumery. Le succès de Bécassine est immédiat et immense auprès des jeunes lectrices, et sa notoriété s’étend sur plus de trois générations, Jean Trubert reprenant la série après Pinchon jusqu’en 1962.
Considérée (avec Les Pieds Nickelés de Forton) comme l'un des premiers classiques de la bande dessinée française, Bécassine a longtemps été perçue comme une série pour jeunes filles sages, ce qu’elle est assurément. Mais derrière la bonne volonté un peu niaise de Bécassine (dont le vrai nom dans la série est Anaïck Labornez, née dans le village breton de Clocher-les Bécasses) on a pu aussi voir une chronique de la France rurale en route, tout au long de la première moitié du XXe siècle, vers la modernité. Et le personnage de Bécassine, tour à tour infirmière (pendant la Première Guerre mondiale), cheftaine scoute et même pilote d’avion, est en fin de compte moins empotée qu’on a pu le croire !
Du point de vue formel, la série est également plus riche qu’on ne l’a longtemps pensé. La présentation, considérée comme archaïque, du texte sous l’image, a fait négliger l’élégance formelle de Pinchon (qu’on considère aujourd’hui unanimement comme l'un des précurseurs de la « ligne claire » hergéenne) et sa grande intelligence narrative.

© La Semaine de Suzette n°13 - 26 février 1931

© Joseph Pinchon
Dans cette page, dont le musée possède la planche originale, extraite de Bécassine fait du scoutisme, parue dans la semaine de Suzette le 26 février 1931, Pinchon s’est représenté lui-même, donnant une leçon de dessin à Loulotte (personnage inspiré de la propre fille du scénariste Caumery). Celle-ci reproduit la leçon au tableau noir devant ses camarades scoutes. Cette leçon de dessin révèle qu’il suffit d’un cercle, de deux triangles et de quelques signes minimaux pour représenter et animer le visage de Bécassine qui a la particularité d’être toujours dépourvu de bouche.
Joseph Porphyre Pinchon

Joseph Porphyre Pinchon a lui-même été bien d’autres choses que le dessinateur de Bécassine : peintre animalier, dessinateur pour le théâtre et même réalisateur de film, il n’a jamais, jusqu’à la toute fin de sa vie, cessé de dessiner. Né en 1871, il a beaucoup travaillé pour la presse, et pas seulement pour les journaux pour enfants. Si ses participations au Saint-Nicolas, à L’Ecolier illustré, Benjamin, Âmes vaillantes et bien sûr La Semaine de Suzette sont bien connues, il a également fourni d’innombrables dessins de presse à L’Echo de Paris, qu’il signait Jospin. Il est mort en 1953.
Pour aller plus loin
Retrouvez cette planche et toute La Semaine de Suzette sur Gallica !