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hommage de kang do-ha à uderzo

Nicolas Finet

En janvier 2010, le musée de la bande dessinée présentait l’exposition Cent pour Cent : à l’invitation de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, une centaine d’auteurs du monde entier rendaient hommage, par une planche inédite, à une planche originale choisie dans les collections du musée d’Angoulême. Kang Do-ha avait porté son regard sur une planche du Bouclier arverne de René Goscinny et Albert Uderzo. Son hommage est commenté par Nicolas Finet.

On ne s’étonnera pas que cette planche soit l’une des plus fameuses de la saga d’Astérix, tous albums confondus. Car au-delà du caractère savoureux de la péripétie qu’elle rapporte (« Tu m’aimes ? Dis-le, que tu m’aimes ! »), au-delà même de l’extraordinaire personnalité du trait d’Uderzo (il a déjà mis au point, nous sommes en 1967, cet alliage virtuose de moelleux et de folle énergie qui le distingue radicalement de tous les autres dessinateurs de la place), voici une magistrale leçon de composition, une pure leçon de bande dessinée classique. Tout y est, ou presque : champ / contrechamp pour ouvrir les débats, un soupçon de plongée en plan serré pour bien cerner les personnages, l’art du hors champ pour encore mieux suggérer ce que l’on ne voit pas (Idéfix interloqué entre « Héhé ! » et « Huhu ! »), un panoramique subtilement décentré (le véritable centre géographique de toute la page, c’est… le point d’exclamation) comme résolution du conflit et même l’art de la sortie – seul moment de la séquence où les deux personnages ont le regard tourné vers le bord extérieur. Et l’ensemble ? En équilibre aérien, limpide, tout en légèreté. Chapeau, l’artiste.

Rien ici, ou presque, ne diffère de la planche du Bouclier arverne qui a inspiré Kang Do-ha [1] pour son hommage à Uderzo. Même structure de page, même dialogue. L’identité du témoin muet de cette scène apparaît comme l’unique élément qui tranche (un Gaulois à Séoul, quel choc de cultures !) – surtout dans le contexte climatique choisi par le dessinateur et seul autre écart notable avec le « modèle » de référence : l’hiver coréen, dont les lumières si particulières accompagnent toute la saga de Catsby, l’œuvre à laquelle Kang Do-ha emprunte les deux personnages qu’il met en scène. Soit Catsby, le roux, créature félinoïde et héros paradoxal de ce feuilleton urbain d’aujourd’hui, plein d’élans cabossés par la vie, de coups de théâtre amoureux et d’irrésistibles moments d’humour. Soit encore son hyper-copain et colocataire Hound, le bleu (selon toute vraisemblance, à l’ascendance plutôt canine). Ils sont unis à la vie à la mort dans une complicité que n’épargneront ni les hauts (souvent) ni les bas (dévastateurs). En regard d’Astérix et Obélix, l’un et l’autre nous rappellent simplement une vérité élémentaire : touche pas à mon pote, c’est à toutes les époques, dans toutes les langues et toutes les cultures.

Nicolas Finet

[1Kang Do-ha, né en 1969, Corée du Sud
Kang Seong-soo, alias Kang Do-ha ou Doha, débute dans le circuit alternatif, mais c’est Internet qui lance sa carrière en 2005 : il y fait paraître sa série vedette, Catsby, adaptée depuis sous de multiples formes, dont une comédie musicale. Passionné de cinéma, Do-ha privilégie les intrigues à suspense et rebondissements, entre ironie et gravité.