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fonctions et problématiques du portrait dans les romans graphiques Maus (A. Spiegelman) et La guerre d’Alan (E. Guibert)

Mémoire par Elisa - Laget
Sous la direction de Smolderen, Thierry - Hérody, Dominique - Scepi, Henri
master2007-2008- EESI/Université de poitiers
Angoulême- France

Cette étude tente de définir les fonctions spécifiques des deux romans graphiques, Maus, d’Art Spiegelman et La guerre d’Alan d’Emmanuel Guibert, en les rattachant aux grandes fonctions du portrait dans l’histoire de l’art. Parce que ces auteurs les ont déjà décrits comme tels, et parce qu’ils correspondent aux définitions du genre du portrait.

mots-clés : portrait ; biographie ; photographie ; Spiegelman, Art ; Guibert, Emmanuel

La reconnaissance dont jouit la bande dessinée actuellement (en particulier en Europe) fait suite à sa réévaluation, au cours des années 60 par un certain nombre d'intellectuels et d'artistes (parmi lesquels on compte le cinéaste Alain Resnais, Fellini, Umberto Eco etc.), et par l'apparition d'une bande dessinée d'auteur au début des années 1990. En quelques décennies, la bande dessinée s’est imposée comme un médium (et un moyen d'expression) particulièrement pertinent dans une société qui a vu l’image saturer de plus en plus l’espace public et médiatique, et le lecteur devenir de plus en plus sophistiqué dans son appréciation des possibilités expressives du dessin, et des ambitions littéraires qu'on pouvait attendre d'un tel médium. Aujourd'hui, la bande dessinée n’est plus vue exclusivement comme le support privilégié des récits d’action, où s'affirment des fantasmes de puissance et de violence, sans doute parce que ceux-ci sont exploités plus «efficacement» au cinéma, dans les dessins animés ou les jeux vidéo, supports plus immersifs et plus «transparents». _ En réalité, la bande dessinée vit, depuis les années 60, surtout en France, un glissement de fond, qui a entraîné un glissement de forme. Art Spiegelman remarque dans un entretien qu'en général, l’abandon d’un média entraîne soit sa mort, soit sa transformation en terrain d’expression artistique, donc en art1, phénomène qui est peut-être en train de se développer sous nos yeux. Mais cette apparition d'une bande dessinée d’auteur, porte surtout une affirmation de la voix du créateur dans l’œuvre, un aspect qui, loin d’avoir le privilège de ces dernières années, se retrouvait déjà dans les œuvres qui ont le plus contribué à l’évolution du médium depuis son origine (celle de Töpffer au tout premier plan). Cette même approche se manifeste au cœur des œuvres actuelles les plus importantes, aussi ne faut-il pas s'étonner si des auteurs comme Katchor, Spiegelman ou Chris Ware affichent un intérêt authentique pour ce passé longtemps méconnu. Mais la «réinvention» de la voix de l'auteur a surtout permis d’investir des territoires nouveaux, et notamment celui qui nous questionnera ici : le genre du portrait, tant exploré dans l’histoire de l’art. Deux œuvres remarquables émergeront de ces évolutions : {Maus}, en 1986, et une vingtaine d’années plus tard {La guerre d’Alan.} _ À travers cette étude, nous allons tenter de définir les fonctions spécifiques de ces deux romans graphiques, en les rattachant aux grandes fonctions du portrait dans l’histoire de l’art. Parce que ces auteurs les ont déjà décrits comme tels, et parce qu’ils correspondent aux définitions du genre, nous commencerons donc par inscrire Maus et La guerre d'Alan, dans le genre du portrait. _ Le lecteur qui a lu ces deux œuvres ne peut être que frappé par ceci: leurs bases, la genèse des récits, sont similaires (ou presque). Cependant les auteurs se distinguent par deux œuvres très différentes, écart dû au regard singulier qu’ils posent sur leur modèle et au déploiement de leur talent spécifique. Mais, au-delà des intentions des créateurs, il semble important d’inscrire ces œuvres dans le temps, dans l’histoire. _ Plus précisément l’histoire de l’art ; d’une part en relevant quelques-unes des grandes spécificités et fonctions du portrait, des origines du genre dans les premières civilisations, accompagné de mythes et de fonctions propres; puis à travers les siècles et les disciplines, avec la peinture et l’estampe, la photographie, la littérature. Nous verrons émerger différentes fonctions résultant des divers usages sociaux, politiques, symboliques et artistique du genre du portrait. _ D’autre part en mettant en contexte le médium bande dessinée au sein de l’histoire de l’art, à travers sa création, ses évolutions, en notant quels furent ses rapports avec le genre qui nous intéresse ici. Nous inscrirons ensuite ces œuvres dans les contextes artistiques et éditoriaux qui les virent naître. Toutefois, ce panorama restera très synthétique, son but étant seulement de dégager quelques fonctions incontournables du genre. _ Dans un second temps, nous nous pencherons plus spécifiquement sur les récits ; nous verrons comment les structures «croisées» de {Maus } et {La guerre d’Alan} se répondent, quelles particularités et thématiques elles font émerger. _ Puis nous dégagerons des fonctions, dont nous constaterons non la singularité mais la filiation qui les relie à certaines des grandes fonctions du portrait dans l’histoire de l’art, énoncées dans la première partie.