L’œil, la lumière, le support. Reproduire les couleurs en bande dessinée
Retranscription de la table ronde « La reproduction des couleurs en bande dessinée : fidélité ou trahison ? » organisée par l’adaBD le 28 janvier 2023, à Angoulême. Avec Albertine Ralenti, Elvire DeCock, Dorothée Xainte et Cyril Béchemin. Coordination : Sébastien Cornuaud.
La table ronde a duré plus de 2h et s'est montrée très riche. Pour des questions de clarification, l'entretien a été remonté et condensé.
L’acquisition du trait
Question dans la salle : Moi je travaille exclusivement en traditionnel, et j’ai toujours le dilemme de savoir où m’arrêter dans le traitement de l’image scannée. Quand je suis allé chez mon éditeur et que je l’ai vu scanner mes originaux sur le scanner de la photocopieuse, ça m’a fait un peu peur… (rires dans la salle). Donc j’ai investi dans un scanner de qualité, mais j’hésite toujours à retravailler l’image sur Photoshop, au risque justement de ne pas avoir cette qualité de calibrage de l’écran et de partir sur des choses plus éloignées de l’original. Est-ce que vous me conseillez de rester sur le scan de base et de laisser faire le studio graphique, ou de traiter moi-même l’image ?
Dorothée Xainte : Moi je vous conseillerais ça : vous y passerez moins de temps, déjà. Et puis c’est bien que les gens qui travaillent sur votre livre, le photograveur, le chef de fab, voient vos originaux. Si les scans ont été faits par un atelier de photogravure, ça va, mais si c’est l’auteur… je n’ai rien contre, mais il faut un moyen de contrôler.
Cyril Béchemin : L’acquisition, c’est aussi un métier : bien scanner, avoir un document qui soit vraiment très bien à plat, avec du poids dessus. On peut très bien avoir un super scanner, mais avoir des scans qui manquent de netteté, qui manquent de tout un tas de choses, et là c’est foutu, on ne peut pas rattraper. Beaucoup d’auteurs scannent eux-mêmes mais n’aiment pas ça. Moi j’ai des copains auteurs qui adorent scanner, parce qu’ils veulent maîtriser tout le processus. Mais beaucoup le font par défaut, parce que l’éditeur le demande, ils n’aiment pas ça. Et scanner 70-100 planches, c’est du temps !
Albertine Ralenti : Et si tu scannes de la couleur, pareil, il faut calibrer ton scanner avec une mire…
Cyril Béchemin : C’est un métier, scanner !
Dorothée Xainte : Faut pas se leurrer, derrière ça fait des coûts de scan en moins dans l’économie du livre.
Marc-Antoine Mathieu, La Qu..., Delcourt, 1991
Travailler sur le bon écran
Question dans la salle : Si on n’a pas la possibilité d’investir dans des écrans professionnels coûteux, que conseillez-vous pour visualiser ce que ça va donner à l’impression ? Isabelle Merlet par exemple, parlait de passer en noir et blanc, de booster les contrastes pour se rapprocher de l’impression, car on a beaucoup de lumière sur l’écran et beaucoup moins ensuite sur le papier. Qu’en pensez-vous ?
Elvire de Cock : J’ai commencé comme ça, en faisant mes calibrages à la barbare, à l’œil. J’étais pas dans le détail, mais j’évitais les gros accidents. Déjà, regarder une même page sur plusieurs écrans différents permet de bien se rendre compte. Et quand on en fait beaucoup, on a des choses dans le regard par rapport aux albums qu’on a imprimés, on connaît les pièges, par exemple ne pas mettre de couleurs trop noires, sinon la couleur est enfoncée à l’impression. Donc à la fin, on reprend son fichier globalement, et si on a l’impression qu’il est trop saturé ou trop foncé, on peut éclaircir les couleurs par sécurité.
Les couleurs sont interconnectées entre elles, il y a une cohérence dans tout cela. Donc même s’il y a un petit peu de perte, mais les contrastes dans la page seront bons. La chromie peut être un peu décalée, mais l’important est d’avoir les bons contrastes pour garder une page efficace. Mais c’est des choses qu’on apprend, et qui passent dans l’œil petit à petit. Mon premier album, je ne savais absolument pas que tout ça existait. J’avais fait les couleurs sur Photoshop, et effectivement j’avais été déçue : j’avais fait des couleurs trop vives, j’étais sur un papier qui buvait, et donc les couleurs étaient enfoncées et plus pâles, et le résultat était éteint. Il faut aussi bien faire attention à traiter son encrage, à lui donner de la force, parce qu’on peut avoir le noir qui est moins présent que les couleurs, il faut faire ce qu’on appelle un soutien pour que le noir soit bien brillant et vraiment noir.
Albertine Ralenti : Clairement, l’écran professionnel Eizo à 1200€, c’est idéal, mais c’est compliqué pour beaucoup ! Malgré cela, on trouve pas mal d’écrans moins chers qui permettent de régler finement et d’avoir un résultat satisfaisant. La première étape c’est bien de régler la température de couleurs : beaucoup d’écrans ont une température de couleurs très élevée, ça donne des couleurs très brillantes, donc c’est bien de ne pas avoir un écran trop lumineux. Ensuite si on peut investir dans une sonde, c’est idéal. Et l’autre solution, c’est de bien régler ses paramètres, pour contrôler que tes couleurs RVB elles existent, elles ont une correspondance en CMJN : ça te permet de contrôler que tu n’as pas mis un bleu qui est trop bleu. Le spectre CMJN est nettement plus resserré, donc sur des couleurs très saturées, c’est compliqué ; après, dans des gammes plus grises, plus camaïeu, tu as moins de risques. Mais le mieux c’est de se pencher sur la colorimétrie, il y a plein de sites très bien faits, comme celui d’Arnaud Frich[1].
Jérémie Moreau, Les Pizzlys, Delcourt, 2022
De l’acquisition aux corrections
Cyril Béchemin : Rappelons d’abord le fonctionnement de la chaîne graphique, même s’il y a évidemment quantité de cas de figures différents. Une fois que l’auteur a rendu ses planches, on peut scanner son trait en 1200 dpi, une résolution suffisamment importante pour que ça ne pixellise pas à l’impression, et on peut rendre un fichier haute déf qui va repartir chez un coloriste pour qu’il fasse la mise en couleurs (ou chez l’auteur quand il fait lui-même sa mise en couleurs).
Une fois ce travail d’acquisition fait au scannage, se pose la question de la reproductibilité de la couleur. Pour nous photograveurs, le traitement de l’image, ce n’est pas très compliqué, il y a trois paramètres : l’œil de la personne, le support d’impression, et la lumière dans laquelle on va regarder l’œuvre. Une fois ces paramètres pris en compte, on peut commencer une étape de retouche, de conversion. En effet, nous on fait de l’acquisition en RVB, qui a un spectre colorimétrique très large. Mais quand on imprime, on est en CMJN (Cyan Magenta Jaune Noir) ; et le problème, c’est qu’avec le mélange des quatre encres, on peut reproduire un nombre de couleurs beaucoup plus limité qu’en RVB. Donc des couleurs un peu fluo que des auteurs utilisent, c’est impossible à reproduire en CMJN, et ça peut créer parfois une déception auprès des auteurs. On a donc une contrainte d’impression qui est majeure : CMJN offre un spectre colorimétrique restreint. Notre boulot est donc de trouver le meilleur compromis chromatique possible. Les chromistes chez nous travaillent donc avec l’original et une petite cabine « lumière du jour » pour être dans des conditions de travail optimales ; on convertit l’image, et on voit comment améliorer les choses jusqu’à être au plus proche de l’original, et ne pas trahir le travail de l’auteur et de l’éditeur.
Photo © IGS-CP
Albertine Ralenti : Y a-t-il une différence entre quand on reçoit des planches en couleurs manuelles, traditionnelle, à l’acrylique, à la gouache, à l’encre, et des planches en couleurs numériques ?
Dorothée Xainte : Le premier problème que j’ai, c’est que je reçois de moins en moins souvent des originaux, pour différentes raisons. Il arrive de plus en plus souvent que des auteurs qui travaillent en traditionnel s’occupent eux-mêmes de leurs scans. Il y a la question de la valeur des originaux, et du caractère sensible du transport : l’idée que des originaux partent dans un chronopost après trois ans de travail, c’est très compréhensible que ça angoisse certains auteurs…
Après un auteur qui travaille à l’aquarelle, dont les couleurs sont très fraîches, on sait tout de suite que nous ça ne va pas être possible d’imprimer ça, tout simplement parce qu’on n’a que quatre encres, alors que le coloriste a à sa disposition une palette bien plus diversifiée… Donc il y a l’étape de la numérisation qui est faite en RVB pour essayer de garder un maximum de variété de couleurs. Mais là déjà au scan on a perdu quelque chose par rapport à l’original : l’univers colorimétrique est plus resserré, donc c’est là où il y a une part d’interprétation, et le dialogue est très important : qu’est-ce qui compte pour le coloriste ? Est-ce que c’est son contraste, ou la saturation des couleurs ? C’est là qu’il faut discuter pour se mettre d’accord sur ce qu’on veut comme rendu, à condition que l’auteur accepte qu’il va perdre quelque chose.
Prenons le cas du fluo : il y a des solutions, mais elles sont plus coûteuses… Malheureusement, je suis également la personne qui s’occupe des coûts, des prix de revient, et il faut faire des choix, et faire le mieux possible dans un ensemble de contraintes : au final, il faut que le livre ait un prix acceptable en bout de course pour l’acheteur… À partir du moment où on sort des originaux pour entrer dans une reproduction qui est industrielle, il y a des distorsions. C’est une reproduction en série… Il faut que l’auteur et le coloriste admettent qu’il y ait un décalage, notamment quand on fait le choix de papiers non couchés.
Louis-Robert Casterman et la reine Fabiola dans l'imprimerie Casterman, pour la sortie de Vol 714 pour Sydney. Archives de l’État à Tournai, fonds Casterman
Vérification et correction des couleurs
Albertine Ralenti : Vient ensuite le travail de vérification des couleurs et de corrections. Mais ça suppose que l’éditeur ait aussi un écran calibré… S’il regarde ça sur son poste de travail basique, ça ne sert pas à grand-chose…
Elvire de Cock : Absolument ! Quand on est coloriste, on travaille avec un dessinateur et un scénariste. J’ai investi dans du matériel, mais quand j’envoie à mon dessinateur et mon scénariste, je ne sais pas du tout quels écrans ils ont pour me valider les couleurs, donc parfois je croise les scénaristes, surtout, qui ont des petits portables avec lesquels ils écrivent, avec des écrans pas possibles. Et quand ils ouvrent la page, que je vois ça, je comprends pourquoi ils trouvent les couleurs fades.
Dorothée Xainte : Moi j’ai plutôt des auteurs aux écrans trop saturés.
Elvire de Cock : dans tous les cas c’est compliqué de faire valider des couleurs…
Albertine Ralenti : Et puis ça dépend aussi du logiciel avec lesquels ils ouvrent les images. Si on voit par exemple des auteurs qui ouvrent leurs jpegs dans des clients mails, là les couleurs virent complètement.
Cyril Béchemin : Et même dans Photoshop, en fonction de la version et du paramétrage…
Dorothée Xainte : C’est pour ça que les épreuves physiques restent le meilleur moyen de se mettre d’accord sur ce qu’on veut obtenir, parce que même là il va y avoir des distorsions chez l’imprimeur, donc si on n’a pas réussi à se mettre d’accord en amont…
Cyril Béchemin : De notre côté on a mis en place quelque chose qui existe depuis très longtemps dans la presse, c’est de la validation chromie en ligne. On a des écrans professionnels (Eizo) qui permettent de visualiser les couleurs correctement et le rendu que ça va avoir du papier. Derrière on a un logiciel qui permet de mettre en ligne le pdf avec le profil papier. Et le logiciel permet de faire le lien entre le profil papier et le profil de l’écran, pour voir dans de bonnes conditions sur un écran calibré. Nous on fait de plus en plus de projets comme ça. Sur un projet, on a en général trois jeux d’épreuves : dans cette configuration, les deux premiers jets se font sur écran. L’éditeur et l’auteur peuvent travailler ensemble pour annoter toutes les corrections chromatiques, nous on les refait jusqu’à ce que ça convienne, et on sort juste sur papier le dernier jeu d’épreuves, qui servira à l’imprimeur. Ces pratiques se sont banalisées, notamment avec le covid qui a développé le télétravail chez les éditeurs.
Dorothée Xainte : Oui et puis d’un point de vue pratique ça présente des avantages. Mais à un moment donné il est indispensable de faire une épreuve papier, parce que même avec un écran professionnel récent bien calibré, on continue à regarder quelque chose avec une luminosité qu’on ne va pas avoir en imprimé ; et les épreuves, c’est ce qui fait contrat entre nous et l’imprimeur. Donc si on n’envoie pas d’épreuves pour l’impression d’un livre en couleurs, généralement l’imprimeur se couvre en nous disant qu’en l’absence d’épreuves il se cale aux normes : c’est une manière pour lui de se couvrir, puisqu’il n’a pas de référence pour travailler…
Cyril Béchemin : Nous à l’atelier les chromistes sont installés dans une pièce avec des murs gris (pour éviter que l’œil soit attiré par des couleurs trop vives), lumière de jour avec des néons lumières de jour, écrans calibrés, cabine lumière de jour, donc on est dans des conditions optimales, mais le problème c’est qu’à l’autre bout on ne sait pas comment l’image va être regardée, c’est toujours compliqué alors quand on a l’habitude de travailler avec un client, on sait quelles intentions sils ont, donc on anticipe un peu. Mais quand on travaille avec des nouveaux, ça peut être compliqué d’expliquer. Dorothée l’a bien dit, on est dans un domaine très industriel, les machines sont colossales, on monte dessus avec des échelles, c’est des monstres : on est dans l’industrie lourde. De l’acquisition jusqu’à l’impression, on doit être dans un univers très normalisé, et ce qui est difficile, c’est de faire en sorte que ce soit fait comme ça à toutes les étapes. Si je fais mes couleurs dans un écran calibré dans Photoshop mais que j’envoie dans un fichier jpeg, ça va déjà compresser, on perd des informations, etc. Il y a dans le processus beaucoup d’envois de fichiers, et il y a beaucoup de manières de regarder les images sur écran et sur papier. L’œil, la lumière, le support : ce sont les trois choses auxquelles il faut constamment prêter attention.
Vue de l'imprimerie Lesaffre, à Tournai, issue de KABOOM! #30 - Lesaffre. Métier ? Imprimeur !
Les qualités de papier
Albertine Ralenti : Par ailleurs, l’un des enjeux dont on a relativement peu parlé jusque-là est la question du papier et des qualités de papier utilisées…
Cyril Béchemin : au moment où on sort des épreuves, le support prend toute son importance : entre un papier couché qui va être surfacé, et un papier non couché, une même image va présenter des images de taille, et offrir des appréhensions de la couleur totalement différentes. À l’intérieur de ces familles de papier, depuis 2017, il y a une mode de papiers très blancs et pour cela, les papetiers mettent des azurs optiques : ils rajoutent du bleu. Le problème de ces azurs optiques, c’est qu’ils réagissent très fort aux UV et donc en fonction des conditions de lecture (à la lumière du jour ou en lumière artificielle), la chromie va changer radicalement.
Dorothée Xainte : On pourrait se demander pourquoi on utilise des papiers non couchés alors que ça reproduit moins bien la couleur. Il peut y avoir différentes raisons. Souvent, c’est parce que le papier non couché a plus de vie, et c’est généralement celui que les gens préfèrent au toucher. Et ça rappelle aussi très souvent l’illustration et le dessin, ça donne un côté plus chaleureux, qui le rend assez adapté à la bande dessinée. Mais c’est un choix esthétique, un parti-pris. L’une des difficultés spécifiques dans mon métier est d’expliquer ces choix de papier et d’imprimeur voire du photograveur, et d’expliquer que ces choix ont des conséquences.
Capture de la vidéo KABOOM! #30 - Lesaffre. Métier ? Imprimeur !
Elvire de Cock : Tout ça, c’est des conditions de rêve. Or toutes les fabs de tous les éditeurs ne sont pas toujours au taquet. Dans certaines maisons, il y a pas mal d’albums qui sortent, et dans certains cas c’est moi qui prépare le livre pour qu’il parte directement chez l’imprimeur. Des vérifications, il en faudrait, mais on n’en a pas toujours. Par exemple les épreuves j’en demande mais ce n’est pas systématique, et dans certains cas je n’ai même pas de BAT, même numérique, et je dois le réclamer. Mais ça c’est lié aux contraintes économiques…
Dorothée Xainte : Moi je fais toujours sortir des épreuves, mais pas forcément l’intégralité. Le coût qu’on économise à ne pas sortir d’épreuves par rapport au risque que l’on prend – parce que l’imprimeur, lui, sa référence, c’est les épreuves de couleurs qui ont été validées par tout le monde (l’auteur, l’éditeur, le chef de fab). L’imprimeur, s’il n’a pas ça, il tire non pas au hasard, il va régler les encriers sur la machine en fonction des normes, mais ça va sortir comme ça va sortir… L’imprimeur a lui aussi des contraintes au cours de l’impression. Dans une impression numérique, le point de couleur se dépose verticalement sur le papier ; en impression offset qui est le système d’impression majoritaire, l’encre se dépose horizontalement (elle est déposée par un rouleau). Ce qui veut dire que votre image qui est rouge à un endroit, et où il y a du bleu après, eh bien elles vont être influencées l’une par l’autre. La machine appelle du rouge, mais le bleu derrière va être légèrement violet. C’est des compromis d’encrage qui sont des contraintes techniques, ce qui veut dire que l’imprimeur bien souvent ne peut pas faire autrement. Je déconseille les auteurs au calage, parce que c’est super stressant pour eux. C’est pareil, c’est trois ans de travail, c’est la fin, ils voient sortir le travail. Si ça ne leur convient pas, ils sont décomposés, ils ne savent plus quoi dire, quoi faire ; j’en ai qui ont pleuré… Et je peux comprendre. Moi c’est mon travail. L’auteur, à un moment, va pouvoir se détacher du résultat idéal qu’il attendait parce qu’il reçoit un livre, qu’il voit que le papier est beau, que c’est un bel objet… Alors des auteurs qui ont de l’expérience peuvent venir au calage et aider à faire des choix, mais sinon ça peut être une expérience dure pour eux.
Albertine Ralenti : Peux-tu rappeler ce que c’est que le calage ?
Dorothée Xainte : Alors, notre fichier PDF finit chez l’imprimeur qui va opérer plusieurs manipulations sur le fichier, je vous passe les détails, et la machine comprend un groupe par couleurs : cyan, magenta, jaune, noir. L’imprimeur lance sa machine, et il y a une phase où on essaie de se rapprocher des épreuves, sachant qu’on ne va jamais y arriver. Je donnais tout à l’heure l’exemple d’une image rouge où on passe vers le bleu ; eh bien on fait ce qu’on appelle un compromis chromatique : on décide si on sacrifie un peu plus le rouge ou le bleu, etc. Et c’est pour ça que dans l’absolu on pourrait se dire que c’est à l’auteur de trancher ces derniers points. Mais il faut avoir conscience que c’est de l’industrie …
Je reprends l’exemple du violet : je demande à abaisser un peu le magenta de mon côté, je vois que ça fait basculer de l’autre côté, du coup on se met au milieu, et voilà. En fait, les imprimeurs ont beaucoup moins de marge de manœuvre que nous en amont. Un imprimeur, c’est un transformateur : tout ce qu’il va imprimer, c’est dans le fichier qu’on lui a transmis – d’où l’importance d’une préparation par des professionnels. Moi la plupart du temps, quand on me dit qu’on a des problèmes d’impression, c’est parce que le travail de traitement de l’image n’était pas bien fait en amont. L’imprimeur, lui, il ne peut que faire moins bien.
Albertine Ralenti : Est-ce que les normes d’imprimerie ont évolué récemment ?
Dorothée Xainte : Énormément ! Les imprimeurs ont fait un travail considérable d’unification et de standardisation des machines. Ils en avaient un peu marre d’avoir des réclamations, peur d’avoir des distorsions, aussi, et donc un organisme allemand indépendant a fait imprimer des gammes de couleurs et établi des moyennes entre toutes les machines d’impression d’Europe. Et donc tout le monde s’est mis d’accord autour de standards communs. Et il y a eu quantité de progrès depuis en imprimerie, par exemple avec les machines UV, où l’encre est séchée immédiatement à la sortie de la machine, le calage automatique…
Cyril Béchemin : Il y a l’hexachromie, aussi : certains imprimeurs impriment en six couleurs, donc on a des résultats qui sont incroyables, mais ça reste des coûts qui sont très élevés…
Dorothée Xainte : Je n’ai jamais pu, les budgets ne sont jamais passés…
Cyril Béchemin : Après on peut faire des choses avec des Pantones, comme dans les Pizzlys de Jérémie Moreau : ils ont remplacé le magenta par un pantone. Parfois, quand on a une couleur fluo, on prend un pantonier, c’est comme un nuancier pour choisir sa peinture intérieure. On choisit sa couleur d’encre, et on peut faire une cinquième couleur pour imprimer un fluo. Ca permet d’avoir un spectre plus large mais c’est plus coûteux…
Pour aller plus loin
KABOOM! #30 - Lesaffre. Métier ? Imprimeur !