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dans l’atelier de... léa murawiec

Thierry Groensteen

[Octobre 2019]

Diplômée de l’école Estienne et de l’EESI, Léa Murawiec est la première bénéficiaire d’un nouveau mécanisme d’aide à la professionnalisation de jeunes auteurs et autrices, mis en place par la CIté, Magelis et l’EESI. Elle évoque ici ses études, son séjour à Shanghaï, son parcours dans la petite édition et son projet en cours.

Thierry Groensteen : Pour commencer, peux-tu nous dire d’où tu viens… ?

Léa Murawiec : J’ai grandi en banlieue parisienne. Dans une famille d’artistes où tout le monde a travaillé dans l’architecture, l’imprimerie ou le textile. Mon père est architecte, ma mère designer. J’ai été tout naturellement encouragée dans la voie du dessin. Mon frère, lui, est beatmaker dans le rap.

(Photo Thierry Groensteen)

Ton mode d’expression privilégié a toujours été le dessin ?

Oui. J’ai fait aussi de la musique, mais je me sentais plus à l’aise avec le dessin. Je raconte des histoires en bande dessinée depuis que je suis petite.

Quelles sont les BD lues dans l’enfance qui t’ont donné le goût de cet art et l’envie de t’y consacrer à ton tour ?

J’ai lu les classiques franco-belges : Lucky Luke, Tintin, Astérix, les Schtroumpfs... J’étais surtout attirée par l’humour. A l’adolescence, je me suis mise au manga. J’en ai lu énormément : beaucoup de Tezuka, Naruto, Full Metal Alchemist, plein de mangas de sport… La BD indé, je ne l’ai découverte qu’après. Peut-être que je lisais déjà Riad Sattouf au lycée…

L’influence du manga sur ton dessin ne me paraît pas tellement flagrante…

Pourtant, elle est bien là. Je crois qu’elle se manifeste surtout à travers une narration très dynamique.

Quand tu étais lycéenne, tu avais déjà pour objectif de faire de la bande dessinée ton métier ?

J’ai travaillé pour le journal du collège, puis pour celui du lycée. Je faisais déjà des bandes dessinées mais je m’exprimais également en un seul dessin : je faisais pas mal de dessins de presse. Sur le plan professionnel, j’étais aussi intéressée par le journalisme. Mais j’ai finalement opté pour le dessin. Après le bac, j’ai intégré l’école Estienne. La MANAA [1] d’Estienne me faisait envie, je savais qu’on y dessinait énormément. C’était orienté vers le design graphique, le design de mode ou d’objets. La bande dessinée n’y tenait pas une place principale, mais je pensais que je n’avais pas besoin d’étudier la BD pour en faire plus tard. J’ai été très contente de cette année de MANAA et après j’ai opté pour la filière Design graphique, option « image imprimée », en deux ans. Là j’ai eu des cours de pub, de communication, de typographie… Je m’intéresse beaucoup à la typo, depuis le lycée. J’avais assisté à des conférences de quelques typographes, par exemple Matthew Carter, le concepteur de la police Verdana. Mais le graphisme m’a rapidement ennuyée. J’étais frustrée de ne pas pouvoir consacrer plus de temps à la bande dessinée.

Les planches sélectionnées au concours jeune Talent du FIBD en 2015.

C’est pour cela que tu es ensuite venue à l’EESI, à Angoulême…

En fait, j’avais décidé de présenter le concours d’entrée à la Haute Ecole des Arts du Rhin, à Strasbourg (anciennement les Arts déco). Des copains m’ont dit qu’ils tentaient aussi l’EESI, dont je n’avais, pour ma part, jamais entendu parler. On était le jour de la date limite d’envoi des dossiers d’inscription ! Donc j’ai dupliqué en hâte le dossier que j’avais préparé pour Strasbourg et je l’ai envoyé à l’EESI. J’ai passé les entretiens d’entrée dans les deux écoles et c’est à l’EESI que ça s’est le mieux passé. L’atmosphère m’y a semblé beaucoup plus détendue, c’est ce qui m’a donné envie de venir.

A l’EESI, tu es rentrée en quelle année ?

Directement en troisième année, compte tenu des équivalences. J’ai donc fait une année de DNAP et ensuite j’ai enchaîné sur le DENSEP.

Ce qui fait que je ne t’ai jamais eue comme étudiante, puisque moi j’interviens en Master.

Je n’ai pas voulu aller en Master parce que je ne voulais pas écrire deux mémoires. Je n’étais pas très investie dans l’écriture, ni dans la théorie de la bande dessinée. Et puis je voulais partir en Erasmus.

J’ai été surpris en découvrant que tu avais fait ton Erasmus à Shanghai. Je croyais que ce dispositif se limitait à l’Union européenne…

Il a été étendu, sous le nom d’Erasmus +. J’avais choisi l’Ecole Offshore de Shanghai, fondée par l’artiste Paul Devautour [2]. Elle compte peu d’étudiants (nous étions dix-sept en tout), en provenance de l’ensemble des écoles d’art françaises. Les cours sont dispensés en français. Il y a très peu d’heures d’enseignement, mais pas mal de rencontres et de workshops avec des artistes chinois ou des artistes étrangers de passage. Nous allions voir beaucoup d’expositions…

Qu’est-ce qui t’avait motivé dans le choix de cette école et de cette destination ?

Je voulais changer complètement d’univers. Essayer de me recréer un quotidien à l’autre bout de la planète. Ça a été une expérience formidable et très intense. Je vivais dans une colocation à cinq, avec une Française, une Chinoise, une Finlandaise et une Coréenne, mais ce n’étaient pas des étudiantes. Nous parlions anglais. J’ai appris l’anglais en Chine ! J’ai essayé d’apprendre le chinois, mais c’est très très difficile… et je ne suis restée là-bas que quatre mois et demi. Pourtant cela m’intéressait beaucoup d’apprendre un autre alphabet.

Tu as raconté, dans une histoire intitulée L’Année du Coq, qu’on peut lire en ligne sur le site de Marsam [3], comment ta colocataire chinoise t’avait invitée à venir passer le Nouvel An chinois dans sa famille…

Oui. Je m’étais dépêchée de finir ces dix pages pour pouvoir les offrir à la famille avant mon départ de Chine. J’ai écrit d’autres bandes dessinées sur mon voyage en Chine, qui ont été publiées sur mon propre blog [4]. Mais ça fait un moment que je n’y poste plus…

Tu as pu t’intéresser au monde de la small press à Shanghai, voir s’il existait des fanzines ?

J’ai rencontré des gens qui, dans leur boutique qui s’appelle Bananafish Books, possédaient une machine risographe. Mais la plupart avaient des liens avec l’Europe. Par exemple, il y avait des livres de Ruohong Wu, artiste chinoise et compagne de l’illustrateur espagnol José Jajaja [5]. Dans cette boutique, on trouvait beaucoup de fanzines européens et japonais, c’était vraiment un lieu multiculturel. Mais du fanzine contemporain chinois, c’était plus difficile à trouver pour moi lors de ce séjour.

Après Shanghai, tu es revenue finir ton DENSEP à l’EESI. Et ton projet de fin d’études était une bande dessinée numérique interactive intitulée Endurance [6].

Oui, c’est ça. Ce projet est inachevé pour le moment, mais je le laisse en sommeil. J’ai monté mon projet sur le logiciel Construct, conçu pour le développement de jeux vidéo. Il ouvrait beaucoup de possibilités de narrations, de nouvelles formes. Je voulais travailler sur une bande dessinée à choix multiples, mais avec un autre mode de fonctionnement que celui calqué sur les « histoires dont vous êtes le héros ». Je voulais que toutes les possibilités offertes au lecteur soient égales en termes de longueur, et que tous les chemins soient empruntables dans une même réalité. Concrètement, ça signifie que si une bombe atomique explose dans une des histoires, sans que ce soit lié aux agissements du personnage, elle explosera aussi dans toutes les autres histoires. Mais en fait, dans mon histoire, tout découle de ce que fait le personnage, une femme qui veut juste aller acheter des œufs au supermarché.

Au départ, il y a six cases. Et ce qui est déterminant pour emprunter tel chemin plutôt que tel autre, c’est le moment où on clique sur une de ces cases.

Voilà. Normalement, toutes les histoires devaient être animées. Et il y en a, au total, environ 700 – sans compter les boucles. Si j’allais au bout, ça représenterait 12 minutes d’animation. A faire toute seule, c’est vraiment un boulot énorme ! Pour l’instant, je n’ai animé que juste ce qu’il faut pour pouvoir montrer le principe. Montrer quelle expérience de lecture – un peu à mi-chemin de la BD et du jeu vidéo – je propose.

Quand tu as passé ton diplôme, tu as étalé sur un grand panneau toutes les versions et ramifications possibles de ton histoire…

Oui, j’ai imprimé toutes les vignettes et je les ai étalées au mur. On perdait l’animation mais on pouvait apprécier la superposition des chemins. Ça permettait de prendre la mesure de la différence entre le web et le papier, s’agissant d’une histoire à choix multiples.

Dans le futur, tu as plus envie de créer pour l’univers numérique ou tu restes attachée au papier ?

J’aime bien les deux, je pense qu’ils ont beaucoup de choses à dire l’un et l’autre. Mais au niveau des débouchés, pour le moment l’édition papier offre beaucoup plus de possibilités. Je regrette que, dans la plupart des propositions que j’ai pu voir en matière d’édition numérique, on en reste souvent au procédé du scroll, sans beaucoup d’interactivité.

Couverture de Flûtiste No.8.

Le principal fanzine auquel tu as été associée est Flûtiste. Il a été fondé en 2012 par Antoine Beauvois, Tom Vidalie, Julien Noguera et Pierre Le Couviour. Tu as commencé à y participer l’année suivante, au No.3. Et le fanzine s’est progressivement transformé en revue (10 numéros parus à ce jour) et en maison de micro-édition…

Les quatre fondateurs faisaient tous des études de graphisme, étaient dans la même classe et avaient envie de faire autre chose. Ils avaient deux ans de plus que moi. Je les ai contactés quand j’ai commencé mon BTS. J’ai commencé à être publiée en tant qu’autrice, et quand je suis arrivée à Angoulême j’ai commencé à travailler pour le Flûtiste comme rédactrice en chef (au No.8) puis éditrice.

La revue a connu plusieurs formats et formules…

Les premiers numéros étaient plus ou moins au format A4, avec une couverture sérigraphiée. Au début, des histoires de chacun étaient indépendantes, mais ensuite on s’est orientés vers des histoires collaboratives. Pendant quatre numéros, il était décidé d’un thème, et un appel à participation était lancé. Puis est venu un numéro, le cinquième, où les animateurs du Flûtiste de l’époque ont dessiné un sous-marin, l’ont découpé en zones et attribué une pièce à chaque participant. Pour le No.6, les règles se sont sophistiquées : chaque participant s’est vu imposer un environnement, une situation initiale et une situation finale ; de plus, il fallait introduire au milieu de chaque histoire une case qui soit une vision de loin de l’histoire précédente.

L’équipe est aujourd’hui dispersée, géographiquement parlant. Tu es la seule à Angoulême…

Oui, elle est dispersée et elle a perdu beaucoup de ses membres. De l’équipe initiale ne reste plus qu’Antoine, qui vit à Paris. On aimerait que la revue continue à paraître mais pour le moment on n’en a pas le temps. On tourne toujours dans les festivals et on se concentre plus sur des livres individuels d’autrices et d’auteurs.

En dehors des festivals, la production du Flûtiste est vendue en ligne et dans une dizaine de « bonnes librairies »…

Voilà. Nous n’avons pas de diffuseur, nous ne sommes pas assez gros.

J’ai vu que les tirages avaient oscillé entre 150 exemplaires et 800…

Oui, et le numéro 8 totalise 1 000 exemplaires parce qu’il a été réimprimé.

Tu évoquais tout à l’heure les histoires en forme de scrolls. « Futur ciment », l’histoire que tu as dessinée pour le No.9, imprimé sur de grandes feuilles pliées en quatre, se présente un peu comme ça. On descend dans la page en suivant un parcours fléché, une image globale se combinant avec des petites séquences narratives…

Oui, c’est vrai. C’est du scroll imprimé, si on veut. Ce No.9 fonctionne sur le principe du cadavre exquis, et j’étais celle qui démarrais le récit. Ça m’a intéressée de voir quels étaient les éléments sur lesquels les autres ont rebondi, et ceux qu’ils avaient laissé de côté.

Ton histoire dans le No.10, « Plus de papier », fait allusion à un sujet d’actualité, celui des migrants…

Je m’intéresse beaucoup à l’actualité. Même si je ne suis pas une militante. J’avais envie de parler du sujet des migrants, et je l’ai fait en imaginant une société qui se considère comme parfaite parce qu’elle a exclu tous les autres, tous ceux qui sont différents.

Comme autrice, tu as publié deux livres sous le label du Flûtiste. Le premier, toute seule, en 2015, intitulé Conspiration. C’est un livre qu’il faut tourner d’un quart de tour pour le lire comme un calendrier…

Ça ménage une surprise pour le lecteur parce que la couverture de l’annonce pas.

Et en 2018 a paru Fabuleux Vaisseaux, en collaboration avec Krocui.

Krocui est plutôt illustrateur et graphiste, et il invente des vaisseaux spatiaux avec des formes très souples, qui n’ont pas un aspect technique. Graphiquement, ça m’intéressait beaucoup. On s’est associés pour faire ce livre, lui dessinant les vaisseaux et moi les personnages. La science-fiction m’intéresse moins en soi que le concept des réalités parallèles, comme chez Borges ou Bioy-Casares… Le décalage poétique avec la réalité…

Double page de l’album Fabuleux Vaisseaux, avec Krocui.

Dans la plupart de tes bandes dessinées, tu sembles vouloir te concentrer sur les personnages et les décors sont réduits à peu de choses. Pourtant tu as autoédité deux recueils de dessins où l’architecture est très présente, de même que les voitures et les scènes de foules…

Oui, c’est justement parce que j’avais moi-même constaté qu’il y a peu de décors dans mes bandes dessinées – mais ce n’est plus vrai de celle sur laquelle je travaille actuellement – que j’ai décidé de les réintroduire dans ces images-là. Ce sont des dessins que j’ai réalisés pour le challenge Inktober qui, depuis 2009, invite des artistes du monde entier à réaliser pendant un mois, en octobre, un grand dessin à l’encre par jour, et à les mettre en ligne [7]. De plus en plus d’auteurs de BD y participent. Moi je le fais depuis 2014, d’ailleurs sans respecter les thèmes proposés. C’est l’occasion, une fois par an, de faire le point sur mon dessin et mon imaginaire graphique. Une année je me dis : je ne sais pas bien dessiner les plantes, donc je ne vais faire que ça pendant un mois. L’année suivante je fais pareil avec les animaux : un animal différent chaque jour. En 2017, les dessins que j’ai faits devaient poser le décor de l’histoire sur laquelle je travaille en ce moment.

La série suivante, réalisée en octobre 2018 et que tu as publiée en janvier 2019, reprend les mêmes motifs graphiques mais y ajoute un imaginaire de la catastrophe…

En 2017 j’avais travaillé sur la représentation de la mégalopole, en m’appuyant beaucoup sur mon ressenti pendant mon séjour à Shanghai. Mes dessins montrent un univers constitué uniquement de gratte-ciels et de béton. Et l’année d’après j’ai tout cassé, ma grande ville est montrée à l’état de ruines… Je voulais explorer l’apocalypse sans tomber dans le steampunk ou dans Mad Max. Sûrement que le discours ambiant sur la fin du monde m’a influencée…

Dessin réalisé en 2018 dans le cadre du challenge Inktober.

Dans tes histoires, le personnage principal est généralement féminin et te ressemble pas mal…

Oui, mais ce n’est pas parce que c’est une femme brune que c’est obligatoirement moi. Je crois qu’un peu des traits de chaque dessinatrice et dessinateur de bande dessinée se retrouve dans leurs dessins. Je pense aussi qu’on manque encore aujourd’hui de femmes héroïnes à la personnalité complexe dans les fictions en bande dessinée, et c’est ce que je m’efforce de faire dans les miennes.

Ce qui revient souvent aussi chez toi, c’est une dimension « méta ». L’une de tes héroïnes dit : « On dirait que je suis dans une BD qui ne marche pas très bien… » Une autre : « Je vais négocier ça avec l’éditeur de cette BD »…

J’aime bien faire ça parce que j’ai du plaisir à retrouver ce genre de ressort comique dans les bandes dessinées que je lis. J’aime les univers absurdes.

Détail du livre-leporello Panique.

Tu as aussi publié un titre chez Polystyrène, un collectif né à Angoulême dans le contexte de l’EESI…

Oui, mais ils étaient tous partis d’Angoulême quand je m’y suis installée. Je connaissais leur travail et on s’est rencontrés dans les festivals. De leur côté, ils connaissaient Flûtiste et c’est eux qui m’ont proposé cette collaboration. Au départ, un ami de parents, bibliothécaire de son métier, ainsi que des membres de ma famille, m’avaient initiée à l’Oulipo et à l’Oubapo, par lesquels ils sont très intéressés. C’est comme ça que je me suis retrouvé avec un livre de Polystyrène dans les mains pour la première fois, celui qu’il faut lire avec des filtres bleus et rouges.

Les livres de Polystyrène sont tous basés sur des manipulations. Le tien est un leporello vertical qui s’inscrit dans la collection « Façade ». Il s’intitule Panique et a paru en 2018…

Et il se lit pli par pli, ou sous forme d’un panoramique vertical, entièrement déplié. Chaque titre de la collection explore un immeuble. Si on met les livres côte à côte, on obtient une sorte de rue…

Tu te sens proche de la démarche de l’Oubapo ?

Oui, de leur volonté d’expérimenter de nouvelles formes de bande dessinée et de narration. Personnellement, j’aime beaucoup les mathématiques. Et j’apprécie de travailler à partir de contraintes, je trouve ça super créatif. Avec Olivier Crépin, des éditions Rutabaga, nous aurons peut-être un projet dans cet esprit.

Page 3 et avant-dernière de l’histoire parue dans Biscoto.

Dans ce que j’ai pu lire de toi, il y a deux histoires particulièrement drôles. D’abord celle que tu as dessinée pour Biscotto No.66 (décembre 2018) sur cette famille qui veut aller couper son sapin de Noël dans la forêt et, découvrant qu’il n’en reste qu’un, n’a pas le cœur de le couper et réveillonne sur place, au pied de son sapin laissé en terre...

Le sapin (de Noël) était le thème imposé pour ce numéro. Comme je me sens concernée par l’écologie, cette histoire m’est venue assez naturellement.

L’autre histoire, c’est « La Malédiction », dans laquelle tu racontes l’intervention que Francis Groux était venu faire devant votre groupe d’étudiants… [8]

Je l’ai faite dans le cadre de la publication qu’on réalisait annuellement, pour le festival, avec Gérald Gorridge et en partenariat avec La Charente libre. Elle a paru en janvier 2016. C’était une super rencontre, avec Francis Groux, mais quand il s’est mis à évoquer le festival sous l’angle des morts et des disparus, ça donnait une image très morbide de la condition d’auteur de BD, que je trouvais aussi très drôle.

Cette histoire est reprise sur le site de Marsam, qui est un collectif d’auteurs passés par Angoulême à un moment ou un autre de leur carrière et qui, pour certains, y habitent encore…

C’est par Yohan Radomski, qui tient L’Arbre du voyageur, la librairie de l’Alliance française à Shanghai, que j’ai découvert l’existence de Marsam. J’ai rencontré l’équipe à mon retour. Ils ont publié deux de mes histoires sur leur site, et je participe de temps en temps aux projets que monte le collectif – comme l’exposition montée cette année à la Cité.

Tout ce que tu as publié jusqu’à présent était des participations bénévoles, ou bien est-ce qu’il t’arrive d’être rémunérée ?

Ça vient petit à petit, mais quand j’ai été rémunérée c’étaient des sommes symboliques, à part pour ma participation à la collection « Façades » chez Polystyrène et pour Fabuleux Vaisseaux.

Tu es à la Maison des Auteurs depuis six mois en tant que première bénéficiaire d’un nouveau dispositif élaboré en partenariat entre la Cité, l’EESI et Magelis, visant à aider à la professionnalisation d’un jeune auteur ou d’une jeune autrice.

C’est un super dispositif, qui combine un atelier, un appartement et une bourse d’un an ! Ça m’offre la possibilité de travailler de façon continue sur un projet de bande dessinée longue, qui pourra être publiée ensuite sous forme de livre. Je ne suis pas obligée de me disperser en prenant des travaux de commande, je peux vraiment me concentrer sur mon objectif. Je continue tout de même à m’occuper de Flûtiste, de la comptabilité, des contacts avec les librairies, etc.

Au terme de quel processus as-tu été sélectionnée ?

C’est Julie Staebler, enseignante à l’EESI, qui nous parlé de cette résidence, et je sais que nous sommes plusieurs à avoir postulé – pour la plupart issus du Master BD. Il fallait envoyer un dossier très complet, un book, un CV, une lettre de motivation, le synopsis du projet présenté, et déjà des planches finalisées. Si j’ai eu la chance d’être prise, je pense que c’est parce qu’on a aussi salué mon parcours, et le fait que j’avais déjà un pied dans le monde de l’édition.

Page 3 de l’album en cours de réalisation.

Peux-tu dire quelques mots sur ce projet d’album auquel tu travailles ?

L’histoire se déroule dans une réalité parallèle, un monde où la vie de chacun est intimement liée à son nom. Pour survivre, chaque personne doit faire en sorte que son nom soit lu ou pensé par le plus de gens possible. Pour chaque personne, ce phénomène est quantifié sous le nom de « la présence ». Quand le nom de quelqu’un est oublié, il meurt. Mon personnage, Manel Naher, qui vit dans une gigantesque mégalopole truffée de panneaux publicitaires qui sont autant de noms, découvre qu’elle a une homonyme qui devient plus célèbre qu’elle. Elle ne s’était jamais préoccupée de sa présence mais va être obligée de le faire et rechercher elle aussi la célébrité…

Pages 8 et 9 de l’album en cours de réalisation.

S’agit-il d’une satire de notre monde où les gens veulent tous avoir leur quart d’heure de célébrité, se montrent sur les réseaux sociaux, cherchent à avoir le plus possible d’amis virtuels ?

Oui et non. Dans l’univers que j’ai imaginé, la question n’est pas d’avoir envie d’être célèbre, on y est obligé si on veut survivre, on n’a pas le choix. Mais je vois bien que, pour les auteurs et autrices de ma génération, ne pas être sur les réseaux sociaux est assez handicapant. Donc j’y suis, assez active principalement sur Instagram. Les réseaux sociaux peuvent devenir assez anxyogènes, mais ils m’ont permis d’entrer en contact avec beaucoup de gens et de me tenir au courant de ce qu’ils font. J’étais plus à l’aise avec le format du blog, mais il est quasiment révolu.

Tu as déjà approché des éditeurs pour cette bande dessinée ?

Oui, j’ai envoyé un dossier à plusieurs éditeurs et reçu beaucoup de retours positifs. Ce livre sortira aux éditions 2024.

Où en es-tu de la réalisation ?

J’ai découpé 45 pages et finalisé une vingtaine de planches. Le livre devrait en compter environ 130.

Merci Léa, et bonne chance pour ce projet et la suite de ta carrière.

Entretien réalisé à la Maison des Auteurs le 15 octobre 2019.

Page 18 de l’album en cours de réalisation.

[1] Mise à Niveau en Arts Appliqués ; obligatoire quand on a fait un Bac général.

[2] L’Ecole Offshore est pilotée par l’Ecole nationale supérieure d’art et de design de Nancy.

[5] Pseudonyme de José Quintanar, qui a enseigné l’illustration et la bande dessinée à Madrid. Il vit aujourd’hui à Rotterdam.

[8] Lisible en ligne sur http://marsam.graphics/la-malediction/ Francis Groux est, avec Jean Mardikian et Claude Moliterni,l’un des fondateurs du festival d’Angoulême.