
rencontres nationales #2 : extraits d’articles et de publications sur "éducation et bande dessinée"
quelques lectures pour s’imprégner du thème de cette seconde édition
En prélude aux Rencontres nationales de la bande dessinée, voici un florilège de citations à propos du thème de cette seconde édition "éducation et bande dessinée", extraites de divers articles et publications.
c’était le temps où la bande dessinée corrompait l’âme enfantine…
extraits de l’article consacré à la mise en œuvre de la loi sur les publications destinées à la jeunesse, par Thierry Groensteen, 1999 (repris dans la revue en ligne Neuvièmeart2.0)
En 1964 encore, il suffisait d’ouvrir le Petit Larousse illustré pour lire, au verbe "salir", l’exemple suivant : ces illustrés salissent l’imagination des enfants. Une preuve, parmi beaucoup d’autres, de l’influence persistante des campagnes menées contre la bande dessinée par les éducateurs et les responsables de mouvements de jeunesse. […] Malheureusement, les pédagogues de la première moitié du XXe siècle ne se souviendront pas de l’Essai de physiognomonie de Rodolphe Töpffer. Pour eux, ce qui est populaire est nécessairement vulgaire. La bande dessinée est intrinsèquement nuisible, puisqu’elle fait concurrence au "vrai livre". Et cette concurrence cristallise un double affrontement : entre le monde de l’écrit et celui de l’image, d’un côté, entre une littérature à fonction éducatrice et une littérature de pur divertissement, de l’autre côté. Depuis leur origine, les livres et journaux pour enfants sont investis d’une fonction éducative et moralisatrice ; ils accompagnent et prolongent le travail des parents et des maîtres d’école. Or, voici que la presse illustrée, les albums comiques et les romans populaires édités sous forme de fascicules tournent le dos à cette mission, en ne prétendant plus qu’à l’amusement et à la distraction. Les éducateurs s’en alarment fort logiquement. Persuadés, par ailleurs, que les enfants sont faibles d’esprit, et que leurs pulsions et instincts naturellement mauvais doivent être redressés, ils concentrent leurs attaques sur l’image, d’autant plus dangereuse qu’elle est plus séduisante.
enseignement : enseigner avec la bande dessinée
extraits de l’article Enseignement, Dictionnaire esthétique et thématique de la bande dessinée, par Nicolas Rouvière, Janvier 2013, revue en ligne Neuvièmeart2.0
Le rejet des éducateurs catholiques et laïcs s’exprime dès 1907, lorsque la bande dessinée devient presque exclusivement un matériau des publications de presse destinées à la jeunesse. Leur argumentaire, où se mêlent considérations esthétiques, psychologiques et morales, ne variera guère jusqu’aux années 1960 : le médium est stigmatisé pour la pauvreté du texte, pour la teneur grotesque et caricaturale des illustrations, pour son contenu pulsionnel et violent, sans oublier le pouvoir séducteur de l’image (qui encouragerait l’affabulation) et même l’inintelligibilité même de
la narration verbo-iconique. Les rapports de la Commission de surveillance sur les publications destinées à la jeunesse, instituée dans le sillage de la loi du 16 juillet 1949, constituent, après-guerre, en France, l’une des formalisations les plus abouties de ce discours de réaction. Une toute autre histoire des liens entre bande dessinée et enseignement commence en 1970, lorsque paraît en France aux Éditions de l’École le livre pionnier d’Antoine Roux : La Bande dessinée peut être éducative. Ce retournement, préparé par la révolution culturelle de 1968 et l’acculturation
à la BD d’une nouvelle génération d’enseignants, s’explique aussi parce qu’aux yeux des milieux conservateurs, la bande dessinée apparaît désormais comme un moindre mal face à un péril jugé plus dangereux encore : la télévision. La création du festival d’Angoulême, en 1974, rend enfin légitime, en 1977, la tenue à la Roque d’Anthéron du premier colloque international Bande dessinée et éducation, bientôt suivi d’une seconde édition en 1979. Tous deux donneront lieu à la publication d’Actes : Lecture et bande dessinée (Edisud, 1977) puis Histoire et bande dessinée (Objectif Promo Durance, 1979). […]
Une autre question concerne le point de vue idéologique dans les fictions historiques en bande dessinée. Les publications des années 2000, à l’image de l’ouvrage collectif dirigé par Michel Porret, Objectif bulles : bande dessinée et histoire, et de celui de Vincent Marie, La Grande Guerre dans la bande dessinée de 1914 à aujourd’hui, spécifient davantage les particularités de la bande dessinée. Le médium semble approprié pour rendre présentes et sensibles les expériences vécues autrefois,
mais le dessin, aussi réaliste soit-il, provoque une inévitable distanciation, qui invite inévitablement à reconnaître la présence d’un discours. Cette situation particulière conduit la bande dessinée à être l’expression d’une mémoire, bien plus que d’une Histoire. Si la bande dessinée peut devenir document historique, c’est alors en tant que phénomène social construisant un imaginaire iconographique. Reste à en tirer les conséquences didactiques pour un autre usage de la bande dessinée en cours d’Histoire. C’est la voie dans laquelle s’engagent Joël Mak, dit Mack, dans
l’ouvrage Histoire et bande dessinée (CRDP de Grenoble, 2006), ainsi que l’ouvrage collectif dirigé par Nicolas Rouvière : Bande dessinée et enseignement des humanités (Ellug, 2012).
les deux écoles. culture scolaire, culture de jeunes : genèse et troubles d’une rencontre, 1960-1980
par Ludivine Bantigny, Revue française de pédagogie (en ligne), 163, avril-juin 2008, mis en ligne le 1er juin 2012.
Les années soixante à quatre-vingt ont été marquées par la genèse et l’épanouissement en France de la "culture de masse" et tout particulièrement de la culture "jeune". Une rencontre était-elle possible, autrement que dans la rivalité et le conflit, avec la culture scolaire ? Cet article entend étudier quelques formes de
cette "culture adolescente" et la manière dont elle s’est immiscée dans l’espace scolaire ; les réticences et résistances qu’elle a provoquées au sein de l’institution ; enfin, les propositions pédagogiques formulées et pratiquées alors par ceux qui imaginaient, des "deux écoles", n’en faire qu’une. […]
Par la bande. La place des images dans la culture scolaire.
Les images en général s’y font plus prolifiques et surtout plus diverses. Les manuels scolaires s’ornent de photographies tirées de films par exemple. Mais c’est le plus souvent à titre illustratif, sans véritable souci d’un usage analytique et réflexif. On introduira un photogramme de Fanny pour accompagner Pagnol – écrivain dès lors plus que cinéaste. Pour donner chair à Stendhal, on insèrera Gérard Philipe et Danielle Darrieux dans Le Rouge et le noir. La plupart du temps, ces images ne sont pas même référencées : ni date, ni réalisateur du film. Ce ne sont là qu’agréments pour les yeux et non supports pédagogiques.
Encore faut-il les encadrer de légitimité.
Une vignette de Tarzan dans un manuel de 4ème ne se conçoit qu’aux côtés d’un Botticelli et d’un Picasso. "Après le mépris, la méprise" : ainsi conclut donc un spécialiste de bande dessinée au sujet du rejet puis de la progressive insertion de la "BD" dans l’univers pédagogique (Roux, 1982, p. 46). Méprise à propos d’un usage inadapté et finalement dévoyé que représentent, par exemple, les lancements éditoriaux de "bandes dessinées éducatives", telle L’Histoire de France en bandes dessinées chez Larousse. L’anachronisme, l’inadéquation du langage, la simplification à l’extrême y sont de règle (Garçon, 1982, p. 80). Et dès lors, le transfert culturel n’opère pas : ce nouveau support de la culture de masse laisse sur leur faim les tenants d’une culture scolaire qui épouserait la culture des jeunes, car elle n’offre pas aux élèves d’exercer leur esprit critique. Au lieu d’être un gain, c’est une déperdition. Et ce, alors même que des enseignants sont prêts à se rallier, là encore sous la caution de la légitimité, à l’usage de la bande dessinée : après tout, "les dessins des vases grecs sont déjà des bandes dessinées", "les vitraux du
XIIIe siècle sont aussi des bandes dessinées". Il demeure difficile, néanmoins, de faire de la "BD" autre chose qu’une illustration, servant une démarche analogique bien plus qu’analytique. Ce constat est généralisable aux autres vecteurs de la culture de masse.
le moment était le bon
entretien avec David Vandermeulen par Thierry Groensteen, revue en ligne Neuvièmeart2.0, septembre 2016
Au printemps 2016, les éditions du Lombard lançaient une collection encyclopédique d’un genre nouveau, intitulée La Petite Bédéthèque du Savoir dont la particularité est d’associer un spécialiste dans une discipline avec un dessinateur. David Vandermeulen, auteur de Fritz Haber, en assure la direction. Extraits choisis :
[…] En 1999, quand j’ai cessé le fanzinat, ma première BD en tant qu’auteur s’appelait Littérature pour tous, c’était de la BD réalisée sous forme humoristique, certes, mais c’était déjà de la BD de savoir. En 2010, j’ai ensuite rédigé l’éditorial du Monde Diplomatique en BD. Puis, avec Daniel Casanave, j’ai intégré La Revue Dessinée avec la rubrique "Savoir pour tous" dès le premier numéro ; nous y travaillons encore aujourd’hui. C’est le succès foudroyant de La Revue Dessinée et l’opportunité de travailler avec Nathalie Van Campenhoudt, qui est éditrice au Lombard, qui m’ont fait comprendre que le moment était le bon.
Avez-vous rencontré des difficultés de mise en œuvre ? Par exemple pour convaincre les spécialistes de s’allier avec un dessinateur de BD ?
C’est peut-être ce qui nous a, Nathalie et moi, le plus étonné dans cette aventure jusqu’à présent : nous n’avons reçu quasiment aucun refus de la part des spécialistes que nous avons contactés. Nous avons même à présent des spécialistes de renommée mondiale qui viennent à nous. C’est la même chose avec les auteurs de BD. Il est clair que jamais les choses ne se seraient passées ainsi il y a encore quinze ans. Quelque chose a vraiment changé très rapidement les esprits. Selon moi, il y a plusieurs facteurs. Il y a l’impact de la couverture médiatique, avec les livres d’auteurs comme Satrapi, Sfar, Blain ou Sattouf ; les adaptations Marvel et DC à Hollywood, qui ont prouvé que la BD savait générer beaucoup d’argent ; la cote des planches sur le marché de l’art, qui n’a cessé de grimper… C’est tout cela qui, à mon avis, a participé, par le prisme des médias, à modifier l’image de la BD.
La répartition des rôles et le mode de collaboration entre les coauteurs sont-ils prédéfinis ou laissés à l’initiative des intéressés ?
Notre collection est très chartée mais nous laissons toujours les auteurs décider des modalités de leur collaboration. Nous invitons rarement les spécialistes à s’improviser scénaristes ; nous leur demandons généralement un texte, et c’est le dessinateur qui le plus souvent s’occupe de "traduire" le savoir en bande dessinée. Le spécialiste intervient lors des crayonnés puis suit et valide toutes les étapes de la création. Ceci dit, certains spécialistes se prennent au jeu et nous proposent de véritables scénarios. Ce fut le cas de la sociologue Nathalie Heinich, par exemple. […]
La bande dessinée a-t-elle des vertus pédagogiques particulières ?
Bien entendu, pour Nathalie et moi, c’est une évidence. J’en reviens une fois encore au livre de Mathieu Burniat et Thibault Damour : jouer avec les couches "couleurs" pour représenter les théories quantiques, c’est quelque chose de parfaitement spécifique. Dans L’Univers, de Daniel Casanave et Hubert Reeves, il y a un passage que j’aime bien prendre comme exemple pour souligner la spécificité du médium. On y voit le personnage d’Hubert expliquer ce que sont les propriétés émergentes. Il commence son explication accoudé au balcon d’une salle de bibliothèque. Il
explique que lorsque l’on prononce une à une les lettres b, l, e, u, c’est au moment où la lettre u est prononcée que nous apparaît l’idée du mot bleu. Dans les cases qui composent cette explication, on voit tour à tour un plan serré sur Hubert, puis une case totalement bleue, puis un retour sur Hubert mais en contrechamp, de sorte que sa balustrade ne surplombe plus une bibliothèque, mais une mer bleue. Cette séquence n’aurait jamais aussi efficacement fonctionné si elle avait été filmée, la
succession des plans aurait été trop brutale. De plus, avec la bande dessinée, c’est celui qui reçoit l’information qui choisit son rythme, il peut naturellement survoler des passages, revenir à d’autres... C’est une évidence mais c’est cette absence de facilités qui rend la narration audiovisuelle particulièrement agressive. On ne choisit pas son rythme quand on regarde une vidéo ou lorsqu’on écoute la radio. Je suis persuadé que ces caractéristiques, propres à la BD, facilitent la mémorisation
et la compréhension. […]
Quel est précisément le public visé par la collection ? Pariez-vous sur le fait que la BD peut lever certaines appréhensions ou inhibitions, et encourager les gens à s’informer sur un domaine qui autrement les intimiderait ?
Le but de la collection est clairement avoué : il s’agit d’aller chercher un nouveau public, qui n’est que peu ou pas du tout bédéphile. C’est un phénomène que j’ai précédemment constaté avec ma série Fritz Haber. Le public de cette série est en grande partie constitué de personnes qui ne lisent pratiquement pas de bande dessinée. Je crois que l’enjeu premier de la BD, c’est d’agrandir son lectorat et de rattraper les pertes causées par la surproduction. Le manga a apporté de nouveaux lecteurs, les romans graphiques au sens large aussi un peu ; j’espère que la BD de non-fiction le fera également. Cela se constate déjà aujourd’hui. Le retour des lecteurs de La Revue dessinée le prouve : près de la moitié de ces lecteurs avouent ne lire que peu ou pas du tout de fiction en bande dessinée.
sur la 2ème édition des Rencontres nationales de la bande dessinée
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