
will eisner, génie de la bande dessinée américaine
dossier thématique
[janvier 2017]
À l’occasion de l’exposition consacrée à Will Eisner, génie de la bande dessinée américaine, présentée au musée du 26 janvier au 15 octobre 2017, nous vous proposons un dossier documentaire consacré à l’auteur et à son personnage emblématique, Le Spirit. Une invitation à préparer ou prolonger votre visite, et surtout à découvrir l’œuvre magnifique de ce grand maître du neuvième art.
Will Eisner, une vie dédiée à la bande dessinée
Né le 16 mars 1917, fils d’immigrants juifs autrichiens et roumains, William Erwin - Will Eisner - mène une enfance pauvre dans le quartier de Brooklyn à New York. Il admire les planches de Milton Caniff, d’Alex Raymond et George Herriman qu’il découvre dans les journaux qu’il vend dans les rues de Wall Street. Il aime aussi la littérature de Maupassant et d’Ambrose Bierce, les dessins et peintures de Daumier et Vélasquez.
Encouragé par son père, peintre contrarié qui se consacre à des travaux peu créatifs, Will se lance dans l’illustration et la bande dessinée, publiant son premier dessin à l’âge de 16 ans. Avec un associé, Jerry Iger, il ouvre un studio proposant aux éditeurs de comic books des séries "clés en main" et employant des auteurs promus eux aussi à un brillant avenir dans les comics, comme Bob Kane, Bob Powell ou Jack Kirby.
A l’âge de 23 ans, il crée une série policière originale : The Spirit , qui paraît de manière hebdomadaire dans les journaux. Elle rencontre un grand succès et sa parution, de 1941 à 1944, devient quotidienne, ce qui oblige Will Eisner à engager des assistants, lesquels assureront la continuité de la série en son absence. En effet, Will est mobilisé en mai 1942 par l’US armée. Il met son talent graphique au service de publications militaires.
En 1945, Will revient à la vie civile et se consacre à nouveau au Spirit. En 1948, il créée une maison d’édition dont les deux premiers titres - autour d’un détective nommé John Law - font un flop, ce qui met un terme rapide à l’aventure éditoriale. Il abandonne le Spirit en 1952, et fonde l’American Visuals Corporation, société de communication visuelle travaillant pour l’armée et d’autres clients, comme la maison de disque RCA ou encore une équipe de football américain.
Dans les années 60, Will Eisner a conscience que bande dessinée a changé, avec notamment l’apparition de l’underground. Il s’oriente alors vers ce qu’il n’était encore pas courant d’appeler le "roman graphique" - terme dont il popularisera l’emploi -, et inaugure en 1978 avec A Contract with God la publication d’une vingtaine de récits en noir et blanc au format roman. Il y met en scène des gens ordinaires confrontés à des drames urbains, histoires souvent tissées d’éléments autobiographiques.
En février 2002, Will Eisner déclarait au Nouvel Observateur : "Je suis un écrivain qui dessine et un observateur de la condition humaine". Dans les romans graphiques de Will Eisner, l’ambition littéraire est manifeste. La réception publique et critique sera enthousiaste.
Tout en créant ses romans graphiques, Will Eisner enseigne à la School of Visual Arts de New York, expérience qui donnera lieu à trois ouvrages pédagogiques sur l’art de réaliser des bandes dessinées. Ces ouvrages font encore aujourd’hui référence. Will Eisner a non seulement influencé toute une génération d’auteurs mais aussi formé, à une époque où la démarche était loin d’être courante, des étudiants à la narration séquentielle.
Eisner adapte aussi des classiques littéraires, comme Moby Dick de Melville ainsi qu’un récit inspiré de Dickens, Fagin le juif. Particulièrement sensible à la question de l’anti-sémitisme, Will Eisner publie sa dernière œuvre en 2005 avec The Plot : The Secret Story of the Protocols of the Elders of Zion, où il raconte l’histoire des Protocoles des Sages de Sion, célèbre faux manuscrit qui se présente comme un plan de conquête des sociétés occidentales par les juifs et mes francs-maçons.
Il disparaît en 2005 à l’âge de 88 ans.
Will Eisner est lauréat de nombreuses récompenses, dont à plusieurs reprises celle des Eisner Awards (prix décernés aux Etats-Unis depuis 1988 aux meilleures bandes dessinées). En 1975, il est Grand Prix de la Ville d’Angoulême.
Dans l’émission 1 livre, 1 jour du 12 juin 2002, Olivier Barrot présentait depuis l’Arizona, La valse des alliances, roman graphique à tendance autobiographique. (Delcourt) - durée : 2 mins 6 sec.
"Foisonnante tant du point de vue scénaristique que visuelle, l’œuvre d’Eisner rayonne encore et toujours. Signe qu’il était et reste un précurseur, un inventeur. Son graphisme réaliste, certains diront classique, cache une originalité tous azimuts au service d’un vrai regard sur le monde...
On ne saurait parler de Will Eisner sans évoquer l’utilisation si particulière qu’il fait de l’ombre et de la lumière. Chez lui, elles sont immédiatement actrices, créant un climat caractéristique. La mélancolie, une certaine inquiétude soufflent dans ses images. Son univers, sombre et ironique à la fois, trouve sa forme graphique et quasi symbolique dans l’ombre portée....
Les ambiances sombres d’Eisner plongent notre imaginaire dans l’encre du polar la plus pure, mais elles sont aussi habitées par l’humour et le décalage. Des ombres ou des rais de lumière réels côtoient et chevauchent d’autres, dessinés ou peints, car Eisner aimait se jouer des codes et de leurs illusions."
Atelier Lucie Lom, scénographe de l’exposition.
Dans ce court film réalisé par le Festival d’Angoulême, Benoît Peeters nous propose un parcours dans les dessins d’Eisner. Durée : 1 min. 52 sec.
Le Spirit, un héros masqué, fragile, et qui se joue des codes
Le Spirit est une série policière qui paraît pour la première fois le 2 juin 1940 aux États-Unis dans le supplément dominical de cinq quotidiens nationaux. Will Eisner répond là à une commande, la concurrence faisant alors rage dans la presse pour proposer aux lecteurs des comics attractifs.
Il jouit d’une grande liberté de création, et pour lui le scénario des histoires est primordial. Les lecteurs apprécient cette nouvelle série, et le nombre de journaux publiant The Spirit augmente.
Pendant les années de guerre durant lesquelles Eisner est mobilisé, de 1942 à 1945, la production du Spirit est assurée par le dessinateur Lou Fine et divers scénaristes. Eisner en reprend les rennes à partir du 23 décembre 1945, lui donnant alors un véritable souffle créatif jusqu’en août 1951. À cette période, le coût de l’impression augmentant, les journaux décident de faire des économies en réduisant ou en supprimant les pages couleurs, ne proposant plus que la parution sous forme de strips en noir & blanc. La série s’arrête en 1952.
Au milieu des années 1960, le Spirit est réédité, mais Will Eisner refuse de continuer la série. "J’ai finalement décidé d’arrêter le spectacle pendant qu’il était encore en plein succès", déclare-t-il.
Un épisode réalisé par Eisner parut néanmoins en 1966 dans le New York Herald tribune. Au même moment, les histoires du Spirit paraissent en albums chez Harvey Comics, chez Warren Publishing et Kitchen Sink Press, puis à partir des années 2000 chez DC Comics.
Chose peu courante dans le monde de la bande dessinée américaine de cette époque, Will Eisner avait réussi à négocier de garder la propriété du copyright de sa série.
En France, le Spirit est d’abord paru aux Humanoïdes Associés (1977 à 1980) et chez Futuropolis (1981 à 1982), puis chez divers éditeurs comme Albin Michel, en intégrale grand format chez Soleil de 2002 à 2005, et enfin chez Panini. Actuellement, la série n’est malheureusement plus commercialisée en langue française.
Justicier masqué (à la demande de l’éditeur), Denny Colt, alias le Spirit, est un jeune détective de la classe moyenne qui pourchasse les bandits dans les bas-fonds de Central City, ville dans laquelle il est aisé de reconnaître New York. Le Spirit est en effet un hommage constant à New York, et plus particulièrement à Brooklyn et au Bronx.
Le Spirit a pour particularité d’être mort dès les premières pages de ses aventures. Son QG se situe donc dans le cimetière de Wildwood. Les accolytes du Spirit sont le commissaire Eustace Dolan, et Ebony White, chauffeur de taxi noir. La fille du commissaire, Ellen, sera l’éternelle fiancée du Spirit.
Malfrats patibulaires, pin-ups vénales et dangereuses, Eisner joue avec tous les codes du genre hard-boiled. Très libre, aussi bien dans son style graphiques que dans ses récits, il ne cesse d’inventer et d’expérimenter : histoire entièrement muette, longue bagarre dans une pièce plongée dans le noir, parodie de soap operas qui triomphent alors sur les ondes des radios américaines, narrations vues à travers le reflet des orbites d’un des protagonistes…
Les pages d’ouverture des histoires sont elles aussi impressionnantes et novatrices, Eisner changeant le logotype de la série à chaque nouvelle histoire.
Bien que portant un masque, le Spirit n’est pas un super-héros. Will Eisner dit de lui que c’est un "héros très flexible". C’est un personnage qui ne prend pas l’héroïsme au sérieux, et Eisner le qualifie même d’anti-héros. Dans certaines aventures, le Spirit est réduit au rôle d’un personnage secondaire qui n’intervient que fugitivement. D’autres fois, Eisner touche presque au conte philosophique.
« Pour moi, déclarait en 2002 au Figaro Will Eisner, les héros sont ceux qui luttent au jour le jour ».
"Les histoires du Spirit sont pleines de symbolisme et d’ombres ; elles sont imprégnées d’une atmosphère de film noir si épaisse qu’on pourrait la débiter en tranches." (Catherine Yronwode : Will Eisner. Futuropolis,1983).
Depuis la disparition de Will Eisner, le personnage du Spirit a donné lieu à des reprises par des dessinateurs contemporains (Darwyn Cooke, Alan Moore, Dave Gibbons, Neil Gaiman, Matt Wagner, etc.) qui ont prolongé la saga pour une nouvelle génération de lecteurs.
ou télécharger des aventures du Spirit en ligne sur The Digital Comic Museum, site de téléchargement gratuit de comics de l’âge d’or américain tombés dans le domaine public.
les adaptations du spirit : animation, télé, cinéma
Pilote d’une adaptation animée réalisée en 1980. Durée : 3 min. 14 sec.
Pilote d’une adaptation télévisuelle réalisé en 1987. La série ne vit jamais le jour. Durée : 14 min. 42 sec.
interview de Frank Miller au sujet de l’adaptation du Spirit, film sorti en 2008 et dont il est le réalisateur. Durée : 8 min. 38 sec.
pour aller plus loin, des ressources sur l’auteur et son œuvre
L’ouvrage de Charles Brownstein, Eisner Miller, paru chez Rackham en 2007 est " un long entretien entre Will Eisner et Frank Miller. Ils y abordent en de courts chapitres thématiques divers aspects de leur profession, tels que leur méthode de création ou leur rapport à l’industrie du comic book ainsi que son histoire et son économie".
le dossier Will Eisner sur neuviemeart2.0.
le site officiel sur Will Eisner : welcome to the official online home of Will Eisner, the ’father of the Graphic Novel’.
voir des planches de Will Eisner sur 2Dgalleries
sur l’exposition au musée de la bande dessinée, du 26 janvier au 15 octobre 2017.
le Will Eisner Week est une célébration annuelle en mars promouvant la littérature graphique, l’art séquentiel, la sensibilisation à la liberté d’expression, et l’héritage de Will Eisner.
la disponibilité des livres de Will Eisner à la bibliothèque de la Cité.
les livres de Will Eisner à la librairie de la Cité.
Will Eisner : Portrait of a Sequential Artist film documentaire sur Will Eisner format DVD / 2010 Montilla Pictures.