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Histoire de la bande dessinée franco-belge

les grandes heures de la bd belge - partie 1

extrait de "La bande dessinée, son histoire et ses maîtres", texte de Thierry Groensteen. La Cité, Skira Flammarion, 2009

Les grandes heures de la BD belge

Deux communautés linguistiques se partagent le royaume de Belgique. Les francophones (Bruxellois et Wallons) sont moins de cinq millions. Ils ne représentent qu’un petit marché pour l’édition et les autres industries culturelles, une succursale du marché français.
La Belgique, cependant, a une réputation très ancienne dans le domaine de l’imprimerie, nombre d’éditeurs français ont longtemps fait imprimer leurs albums de bandes dessinées sol belge. Elle a aussi, tant du côté flamand que du côté francophone, une production significative d’imagerie spinalienne. Mais, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale (ou plus exactement jusqu’à la création de Spirou en 1938), Hergé y incarnait à peu près seul la bande dessinée. Or, dès le lendemain du conflit, une véritable école nationale s’épanouit et part à la conquête du marché français, puis européen. Une école, ou plutôt deux : la rivalité entre les hebdomadaires Tintin et Spirou entretient un climat d’émulation entre l’école dite « de Bruxelles » (autour d’Hergé) et celle dite « de Marcinelle » (du nom de la commune où se trouve le siège des Éditions Dupuis, dans la banlieue de Charleroi ; en 1955, la rédaction sera pourtant elle aussi transférée à Bruxelles).

Benoît Peeters a très justement expliqué pourquoi la bande dessinée trouve en Belgique, pays où les cultures se sont mélangées au fil des occupations successives, une terre d’élection : « on est plus à l’aise dans des arts intermédiaires et des formes composites que dans les arts dits « majeurs"... Le pays est fort d’une peinture littéraire comme celle de Magritte, d’une chanson poétique comme celle de Brel, d’un roman policier qui n’en est pas tout à fait avec Simenon, d’une littérature fantastique un peu BD avec Jean Ray et de la bande dessinée ... »
Sans cesse envahie par ses voisins, la Belgique n’a connu qu’une indépendance tardive. Longtemps empêché de parler sa langue, le peuple y a développé une culture essentiellement visuelle, dont la BD a recueilli et précipité (au sens chimique du terme) l’héritage. Dans la seconde moitié du siècle, la bande dessinée fera véritablement partie du patrimoine culturel que reçoit tout petit Belge à la naissance. Présente dans tous les compartiments de la vie sociale, elle est consommée sans modération (par habitant, on lit deux s fois plus d’albums en Belgique francophone qu’en France) et représente une part prépondérante du chiffre d’affaires de l’édition, tous genres confondus.
Le succès d’Hergé a suscité nombre de vocations de dessinateurs. En outre, la qualité atteinte par les deux « illustrés » rivaux dans les années 1950 et 1960 en fait le point de mire des dessinateurs pour la jeunesse en Europe. Des Français comme Albert Uderzo (issu de l’immigration italienne), le Strasbourgeois Jacques Martin ou le Marseillais Tibet (Gilbert Gascard) ne s’y trompent pas et viennent s’installer dans cet Eldorado. Un peu plus de quinze ans après, Claire Bretécher fera encore, elle aussi, ses premières armes dans Spirou, où elle signera Les Naufragés, avec le scénariste Raoul Cauvin, et Les Gnangnan.
Cependant, afin de mieux s’imposer sur le marché français, les références trop appuyées à la « belgitude » sont bannies ou maquillées. Ric Hochet travaille pour un journal parisien ( La Rafale), et c’est en France qu’Edgar P. Jacobs envoie le professeur Mortimer (dans l’épisode S.O.S. Météores), entre une enquête londonienne et une aventure exotique. On pourrait multiplier les exemples, pour aboutir aux tours Eiffel dont Greg se plaira à meubler les ciels d’Achille Talon - dont les parents sont pourtant superlativement belges. La diffusion des grandes séries classiques made in Belgium ne se limitera cependant pas à la francophonie : dans les années 1960, la plupart sont traduites dans une dizaine de langues européennes, colonisant littéralement les marchés allemand, scandinave ou portugais qui n’ont guère de production nationale à leur opposer.

Le roman d’un renard

C’est à la maison belge Chagor (fondée par l’imprimeur liégeois Charles Gordinne en 1932) que dès avant la guerre, nombre de dessinateurs français (Thomen, Vica, Rigot, Marijac, Gervy, Le Rallic...) confient le soin d’éditer leurs premiers albums. À lui seul, Marijac en fournit une quinzaine, dont le contenu a d’abord été prépublié dans les illustrés français.
En 1942, dans la Belgique occupée, Gordinne publie Les Aventures de Wrill le renard, un roman Madeleine Charlier illustré par le jeune dessinateur Albert Fromenteau.

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Fromenteau et Madeleine Charlier, {La Captive de Frok-Manoir}, Éditions Chagor, s. d.

Ce personnage de Wrill deviendra la vedette de trois dessins animés en noir et blanc, et fera l’objet d’un merchandising important, avant de donner son nom à un hebdomadaire que lance Gordinne en juillet 1945. Une proportion importante des séries créées pour Wrill (Gilles du maquis, Bernard Chamblet, Roger la Bagarre...) célèbre la Résistance. Aux côtés de Français comme Pinchon, Le Rallic, Chott ou Cazanave, s’expriment quelques talents indigènes : Fromenteau, Al Peclers, Max Day - période à succès pour la maison Chagor, qui lance aussi Cap’taine Sabord pour les plus jeunes. Pourtant, la firme subit des revers, se transforme en SIREC et finit par cesser complètement ses activités en 1959.

Aux côtés de Tintin et de Spirou, d’autres titres dynamisent un temps le marché de la presse de bandes dessinées. Si Bravo (1940-1951) et Pat (1946-1959) vivent principalement du travail des dessinateurs français, Héroïc Albums (1945-1956, animé par Fernand Cheneval), en revanche, fait travailler Greg, Tibet, Tillieux et Craenhals.

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Maurice Tillieux, {Quatre squelettes et un cercueil}, Heroic Albums série II n’ 5, 1947

Après une première série en 1942-1943, Bimbo, de Guy Lepière (ex Aventures illustrées), renaît à la Libération pour s’éteindre en 1950. Son sommaire affichait Funcken, Tillieux, Cheneval et Moniquet. Petits Belges, publié par l’Abbaye d’Averbode, est le principal titre de la presse confessionnelle. C’est surtout après la guerre qu’il s’ouvre à la BD, publiant Laudy, Craenhals et René Demoen. On trouve enfin de la bande dessinée dans certains journaux pour la famille comme Le Patriote illustré (où Sirius avait créé son Bouldaldar dès 1938) et dans les suppléments hebdomadaires de certains quotidiens, principalement dans La Libre Junior (supplément à La Libre Belgique), dont le sommaire réunit Charlier et Hubinon, Goscinny et Uderzo, Sirius et Greg. Ces différents titres finissent pourtant par s’effacer ou par être marginalisés, laissant le « duel Tintin-Spirou » (pour reprendre le titre d’un ouvrage d’Hugues Dayez) occuper la scène.

A suivre

Texte extrait de "La bande dessinée, son histoire et ses maîtres", texte de Thierry Groensteen, édité par La Cité et Skira Flammarion en 2009, aujourd’hui épuisé, enrichi de fichiers numériques issus des collections numérisées de la Cité, de Gallica et autres.