Ils sont près d'une quarantaine d'auteurs européens de bande dessinée dont l'oeuvre couvre la période 1950-2011.
Leur histoire commune est bien sûr la bande dessinée, socle de leur univers.
Leurs chemins se séparent, peut-être, lorsque l'idée de peindre devient une certitude, un temps de pause, une opportunité,
une recherche formelle ou l'extrême nécessité de passer à autre chose quand le lecteur se fait rare.
Certains abandonnent tout pour elle, la peinture, ou effectuent des allers et retours impératifs à leur imaginaire.
Que nous dit cette exposition ?
Elle révèle, le mot est ici exact, que la bande dessinée n'a jamais souffert du complexe de la peinture.
Certes nous pourrions écrire, parlant des auteurs de bande dessinée : « La certitude de leur talent, l'incertitude de leur(s) origine(s) ».
L'éternel dilemme des Beaux-Arts s'efface devant l'énergie que déploient les auteurs présents dans cette « autre histoire ».
Pour reprendre l'expression d'Olivier Deprez (né en 1966), il s'agit simplement de « lever l'ambiguïté ».
Joseph Gillain, son aîné (né en 1914), maître reconnu par tous, déclare très tôt : « Lorsque je fais de la bande dessinée, je vole du temps à ma peinture ».
D'autres seront plus radicaux dans cette relation entre bande dessinée et peinture.
Lorsqu'un Paul Cuvelier « abandonne » dès 1951 la bande dessinée pour la peinture, c'est pour y revenir en... 1956.
Joseph Gillain, Paul Cuvelier donc, mais également Will, Hubinon, Hergé reprennent le fil de cette exposition
qui pourrait ressembler à un mouvement panoramique, certes rapide, de l'Histoire de la bande dessinée dite moderne puis contemporaine.
En remontant le temps, en bâtissant cette exposition, il était émouvant de retrouver des auteurs qui ont lâché prise,
pour des raisons qui ne regardent qu'eux,
comme Olivia Clavel dont l'oeuvre jumelle entre bande dessinée et peinture est saisissante de constance ou Denis Frémond
(Prix du Meilleur Premier Album à Angoulême en 1984),
qui poursuit une oeuvre picturale dédiée à la couleur comme il le faisait déjà dans ses (trop) rares albums, semblables à une ligne claire hallucinée.
|
Et que dire de Jean-Marc Rochette, dont l'album Himalaya vaudou annonce le futur de ses peintures grands formats dédiées à la montagne,
et qui choisit un exil berlinois afin de mieux vivre une nouvelle vie artistique ?
Et pourtant - mais devons-nous écrire ce pourtant - la bande dessinée est toujours là.
L'oeuvre au carré, comme le souhaitait l'impératif éditorial des années 50 ou 60 commence à être battue en brèche.
Et voilà une autre génération,
Jochen Gerner, Atak, Olivier Deprez, Anke Feuchtenberger, Ludovic Debeurme, Thierry Van Hasselt, Herr Seele entre autres,
qui utilisent la toile comme du papier et poursuivent une oeuvre empreinte de narration,
où cette même toile « devient le témoignage de l'engagement du corps dans la création » pour citer, encore, Olivier Deprez.
Une autre histoire... raconte - les histoires sont faites pour cela - des expériences, des engagements,
des détournements avec Frédéric Poincelet et ses peintures à même des assises de chaises en bois,
ou Florence Cestac imaginant une peinture situationniste où l'école du « gros nez » sème la panique parmi les chromos de paysages suisses ou « de biches à l'étang ».
Voilà, ils sont près de quarante auteurs, artistes dont certains ont été retenus par la gloire,
d'autres par un destin plus incertain mais condensant finalement une autre histoire... celle de la bande dessinée.
|